Entretien avec le chef Christophe Saintagne – Restaurant PAPILLON

juin 14, 2016 Non Par Anne A

Christophe Saintagne, chef triplement étoilé, ouvre son PAPILLON le 8 février 2016. Parcours d’un chef brillant, passionné par son métier et homme de convictions.

Portrait du Chef Christophe Saintagne

Christophe Saintagne © Pierre Monetta

Comment êtes-vous venu à la cuisine ?

Christophe Saintagne – Je suis venu à la cuisine parce que ma maman travaillait. Je suis le 3e garçon et comme moi j’étais gourmand le repas n’arrivait jamais assez vite le soir. Donc je me mettais aux fourneaux pour que cela aille plus vite et puis je me suis pris au jeu, c’est comme ça que j’ai commencé.

Quelles sont les personnes, les expériences qui vous ont marqué ?

Il y a eu d’abord eu mon maître d’apprentissage Guillaume Louet à Conteville à côté d’Honfleur. C’était la rencontre avec un restaurant gastronomique en région. On avait une très belle relation.
Ensuite je suis monté à Paris et j’ai rencontré Philippe Groult qui a travaillé très longtemps avec Joël Robuchon. En 1999, j’ai travaillé à l’Elysée avec le chef Joël Normand.  Et puis j’ai rencontré Jean-François Piège et ensuite Alain Ducasse évidemment.
En 2002 au Plaza Athénée j’étais le second de Jean-François Piège.  Alain Ducasse rachète Aux Lyonnais. C’est Jean-François Piège qui manageait un peu les choses. Il dit a à Alain Ducasse, c’est Saintagne qu’il faut y mettre comme chef.
Puis Jean-François est parti au Crillon.  Il me dit Christophe viens avec moi on va bien s’amuser. Je l’ai suivi.
Je n’ai jamais envoyé de CV et jamais je n’ai demandé un poste. On m’a proposé des choses et j’ai toujours fait confiance aux gens qui m’ont proposé de travailler avec eux.

C’est souvent ce que je dis à mes jeunes collaborateurs, avoir des exigences quand on a 20 ans ou 25 ans c’est bien mais il faut aussi écouter les anciens qui vont leur apprendre des choses.

Le chef Christophe Saintagne dans sa cuisine.

Le chef Christophe Saintagne dans la cuisine de son restaurant Papillon. © Pierre Monetta.

Dans nos métiers de la gastronomie, entre 20 et 30 on est dans une logique d’apprentissage. Les plus anciens ont leur maison à faire tourner donc ils vont forcément vous donner des choses pour que vous vous amélioriez.
Quand on est jeune il faut y aller. A 18 ans il faut y aller, il faut être pour la vie, pour l’amour, il ne faut pas être contre. On ne fait pas une vie en étant contre mais en étant pour. Allez-y les gamins soyez pour et laissez les vieux être contre.

Il faut redire que le travail rend libre, élève, qu’en France on a la chance de pouvoir évoluer au mérite. Il n’y a aucune barrière sociale ou religieuse qui vient vous interrompre si vous êtes bon. En tout cas c’est ce que j’ai fait.

Je suis parti d’une petite ville qui s’appelle Pont-Audemer dans l’Eure et j’ai été le chef de 2 palaces triplement étoilés Michelin à Paris. Juste par la qualité de mon travail finalement et par le fait d’avoir fait confiance à des gens qui avaient appris leur métier avant moi. Et qui me proposaient des choses. Il faut faire confiance.

 

Le Meurice, c’est votre dernier Palace avant l’ouverture de Papillon ?

Je suis resté au Meurice 2 ans ½. Le Plaza et le Meurice c’est un peu la même histoire car c’est le même groupe et avec le même chef Alain Ducasse.
Donc si on met les 2 ensemble, cela fait 5 ans. Ce n’est pas très long mais la cuisine c’est comme dans les autres domaines, cela va de plus en plus vite.
Les chefs bougent de plus en plus.
On a vu l’arrivée de Christian Le Squer au George V
L’arrivée de Philippe Labbé à La Tour d’Argent.

Papillon c’est un changement de cap ? 

Le chef Christophe Saintagne à l'entrée de son restaurant Papillon

Le chef Christophe Saintagne à l’entrée de son restaurant Papillon © Pierre Monetta

Je crois que j’ai fini mon apprentissage en fait. De 15 ans où je suis rentré à l’école hôtelière jusqu’à 37 ans, j’ai appris et j’ai écouté.
J’ai écouté les chefs dont je viens de vous parler, j’ai regardé les clients, la société, les produits, les fournisseurs.
J’ai fait des choses, j’ai managé aussi ces endroits-là.

J’ai collaboré à une collection de livres « Nature » avec Alain Ducasse et Paule Neyrat, une nutritionniste. A travers ces ouvrages on a expliqué aux gens notre vision de l’alimentation au quotidien : comment manger tous les jours à la maison, pour pas trop cher, en mettant moins de gras, moins de sucre, en mangeant mois de protéines animales.

C’est toutes ces expériences qui ont forgé le professionnel que je suis devenu.
Du coup j’ai voulu mettre tout çà en pratique, et voir si mes envies étaient les bonnes, si elles pouvaient être réalisées. Je me suis dit : vas-y mon petit gars, achète un fonds de commerce et fais-nous voir ce que tu sais faire. C’était le moment de m’installer.

 

L’équipe de Papillon c’est combien de personnes ?

L'équipe du restaurant Papillon autour du chef Christophe Saintagne

Le chef Christophe Saintonge entouré de son équipe au Papillon. © Pierre Monetta.

Nous sommes onze. Cinq en cuisine, quatre en salle, un plongeur et moi.
Mon second c’est Diego. Il était avec moi au Meurice, comme tous les cuisiniers qui sont ici. Ils faisaient partie de mon équipe. Je leur ai demandé à chacun si cela leur plairait de me suivre dans cette aventure. Ils ont tous accepté.
C’était pour moi beaucoup plus sécurisant d’avoir des gens avec qui j’avais déjà travaillé car on parle le même langage. C’est un vrai confort pour une ouverture.

Vous avez un pâtissier ?

Le dessert : poire "brûlée" et pain perdu.

Poire « brûlée », pain perdu. © Pierre Monetta.

 

Non, c’est nous les cuisiniers qui faisons les desserts.

Pâtissier de restaurant c’est très dur, vous entrez en scène quand les gens n’ont plus faim, quand ils ont trop chaud, trop bu, quand ils ont envie de partir. Pas facile.

J’aime les desserts qui sont dans la continuité du repas, plutôt que de rendre un pâtissier malheureux on s’est dit qu’on allait faire les desserts nous-mêmes.

Vous avez un sommelier ? 

Oui, Thibaut qui est le directeur du restaurant. C’est lui qui fait toute la sélection de ce que l’on boit ici.

Les portes de la cuisine sont ouvertes ? 

Diego et son équipe sont en train de faire les assiettes on entend qu’ils parlent, ils sont dans une dynamique d’échange, je veux cultiver cela. Cette vie. C’est pour cela que les portes restent ouvertes. A la maison vous ne fermez pas la porte quand vous faites la cuisine.

Quelles sont pour vous les qualités essentielles d’un grand chef ?

Ce sont avant tout des qualités humaines, c’est quelqu’un qui va être sincère.
Le mot qui m’obsède c’est la sincérité.
Est-ce que dans la façon de regarder les gens, de leur dire bonjour dans ce que je vais mettre dans leur assiette, dans le vin que je vais leur proposer, est-ce que je vais être sincère, ou est-ce que je vais faire semblant ?
Quand je vais dans un restaurant j’ai envie que le chef soit sincère, que ce qu’il me donne soit ce qu’il aime lui.
Du coup si vous avez çà tout est alors limpide, cela veut dire que les rapports avec les collaborateurs et les fournisseurs vont être sincères.
Le cuisinier fait partie d’une chaîne, ce n’est ni le point de départ, ni une finalité.
Il est après le pêcheur, le ramasseur, l’éleveur et il est avant le mangeur.

Saint-Jacques à cru, champignons de Paris, poutargue.

Saint-Jacques à cru, champignons de Paris, poutargue. © Pierre Monetta.

« Cuisiner au plus simple pour le meilleur », c’est votre philosophie ?

J’essaie de raisonner en termes d’alimentation plus qu’en termes de restauration.
Pourquoi on nourrit les gens ? Comment on fait ? A quoi ça sert ? La restauration c’est une façon de nourrir les gens.
Je n’aime pas quand le chef se sert de tout cela pour se valoriser lui. Pour moi cela n’a pas d’intérêt. C’est vraiment le genre d’endroits que je fuis, là où on fait les choses par habitude parce que l’on attend tel résultat. J’aime les gens qui ont un caractère, une identité et qui essaient de donner ce qu’ils sont tout simplement.

C’est ce que l’on essaie de faire, ici. C’est très difficile. Quand vous êtes cuisinier avec votre équipe vous remontez sur scène 2 fois par jour, c’est aussi difficile que de jouer au théâtre. Nous on a 2 représentations par jour, le midi le soir.

Quand je vous parle de sincérité, cela veut dire que tous les gens que nous allons voir ce soir doivent être accueillis avec la même fraîcheur que si c’était la première fois.

Le chef Christophe Saintagne et son second .

Le chef Christophe Saintagne en cuisine et Diego son second. © Pierre Monetta.

Comment choisissez-vous vos fournisseurs ?

Ce sont des rencontres. Soit j’ai entendu parler d’eux et je me suis renseigné, soit ils sont venus vers moi pour me dire qu’ils font tel ou tel produit et ont envie de travailler avec nous. Ce sont toujours des gens qui font. Je n’achète pas ou peu à des intermédiaires. C’est très important de récompenser le travail.

C’est bien beau de dire il n’y a plus de paysans en France et les jeunes ne veulent plus reprendre les fermes. Si vous achetez 15 cts le litre de lait, cela ne va pas donner envie à grand monde de faire le cultivateur.

Je suis normand, la crème que j’achète je l’achète au gars qui a trait les vaches.
Tout l’argent va dans sa poche. Cela me permet d’avoir un produit exceptionnel au bon prix. Et en même temps cela m’assure que ce type va continuer : j’aurai toujours ce bon produit, essentiel à la cuisine que l’on fait car on ne masque pas les choses. Au contraire on veut les exalter.

J’essaie d’être un maillon de la chaîne, je veux favoriser les gens qui font bien leur métier, donc c’est à eux que j’achète.
On fait pareil pour le poisson, on achète directement sur les marchés au poisson.

Le saumon fumé, betteraves et crème aigre.

Le saumon fumé, betteraves et crème aigre. © Pierre Monetta.

Nos fournisseurs de légumes sont un peu partout en France, dans le Lot et Garonne, du côté de Marseille, de Tours et jusqu’en Ile de France à Herblay (C’est Alain Rigaud on peut le trouver au marché de Levallois).

Et votre viande vient d’où ?

Les pigeons viennent de Pornic, le veau vient principalement de Corrèze et un petit peu de Normandie. Le gibier c’est beaucoup d’Alsace. Là aussi, on a des gens derrière qui font du beau travail. Il faut valoriser ce qui est bien, ce qui est bon.

Epaule d'agneau fumée au foin, fregola.

Epaule d’agneau fumée au foin, fregola. © Pierre Monetta.

Vous avez donc plusieurs fournisseurs pour chaque produit ? 

Oui c’est indispensable. Pour le poisson par exemple, il peut y avoir de la tempête, et les pêcheurs ne peuvent pas sortir. Mais ce ne sera pas le cas partout.
Vous êtes obligés de faire comme çà. Sinon cela veut dire se fournir sur un marché de gros qui achète dans toute l’Europe, voire dans le monde entier.
On n’a pas fait Papillon pour ça.

Votre carte évolue comment ?

Le menu du déjeuner change toutes les semaines. Les plats évoluent en fonction des arrivages et des saisons. Quand j’ai le produit, je travaille le plat.
En ce moment on est dans les fraises et les asperges, les petits pois. Les framboises vont arriver cette semaine, puis ce sera les cerises et les courgettes.
On change au fur et à mesure. Il n’y a pas de date fixe, de contrainte. On ne se dit pas : tiens c’est le 21 mars, c’est le printemps, on va mettre des petits pois. Non je ne veux pas travailler comme çà aujourd’hui, c’est la négation du métier de cuisinier.

Et… Votre plat Signature ?

C’est Le cochon fermier en promenade à Utah Beach.
Etant normand je veux valoriser les produits normands. J’ai cherché un très bon cochon normand mais je n’ai pas trouvé un cochon aussi bon qu’au pays basque ou dans le sud de la France. Alors je me suis dit, bon ce n’est pas grave, on va faire monter le cochon jusqu’en Normandie dans notre imaginaire : il rencontrera des algues, des bulots, des huitres. On va construire notre recette autour de çà. Et puis je me suis souvenu des agneaux de pré salé qui broutent les herbes iodées, et j’ai dit je vais faire pareil avec le cochon.

Le cochon fermier en promenade à Utah Beach. Plat Signature du chef Christophe Saintagne

Le cochon fermier en promenade à Utah Beach. © Pierre Monetta

Un produit dont vous ne pourriez pas vous passer ?

C’est l’huile d’olive de Cédric Casanova « La tête dans les olives » rue Sainte Marthe dans le Xe.
Il m’a fait goûter ses huiles. Il en a plusieurs parce qu’il fait de l’huile comme on fait du vin. Il a des parcelles avec des oliviers, il récolte chaque parcelle et la presse sans faire de mélange.
Telle huile à tel goût, il ne va pas mélanger avec celle d’à côté.
On a sélectionné ensemble une huile pour moi et cela fait 5 ou 6 ans que je l’utilise.
C’est un produit dont je ne peux pas me passer parce que je trouve que cela donne de la force à la cuisine que l’on fait et c’est une espèce de fil conducteur.

Le chef Christophe Saintagne dans sa cuisine au Papillon.

Le chef Christophe Saintagne. © Pierre Monetta.

Et les épices ?

En ce moment j’ai ma période cardamone noire, elle est légèrement fumée avec un goût assez profond, cela fait penser à des vieux livres, une odeur de grenier. Je trouve que c’est une odeur et un goût qui donne le ton, un peu comme un peu la basse dans un morceau de musique, c’est ce qui pousse le reste du morceau en avant.
Cela marche avec plein de choses

Comment s’acquiert le sens des assemblages ?

On goûte beaucoup, on imagine les plats dans notre tête. Une fois imaginés, on les essaie et on les règle. On change beaucoup de choses : on ajoute, on retire, on joue sur les températures, les quantités, les dressages.
Pour que le mangeur puisse ressentir plein de choses au moment de la dégustation.
Je ne travaille jamais sur le visuel ou sur une technique. La technique pour la technique ce n’est pas intéressant, la technique au service du goût si.

Mais cela ne marche pas toujours, parfois on n’y arrive pas. Il faut beaucoup manger, il faut avoir envie de faire un plat qui est bon, envie de se régaler. Il faut être curieux.

Mais il y a une part de magie aussi. C’est ce qui s’est passé avec le gâteau au chocolat.

Le gâteau au chocolat servi dans son moule.

Le fameux gâteau au chocolat juste sorti du four.© Pierre Monetta.

Le gâteau au chocolat, crème épicée et menthe

Le gâteau au chocolat, crème épicée et menthe. © Anne A.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avais cette intuition qu’il fallait faire un dessert assez gourmand mais je pensais que ce serait un dessert comme un autre. Il ne ressemble à rien ce gâteau mais il est sincère, les gens le reçoivent comme çà. Finalement le ressenti des gens nous a dépassé. On ne pensait pas que cela allait donner autant que cela. C’est bien.

 

Merci au chef Christophe Saintagne pour le temps qu’il m’a accordé et pour la simplicité avec laquelle il s’est entretenu avec moi.

Le chef Christophe Saintagne à l'entrée de son restaurant Papillon.

Impressionante façade, le chef à l’entrée de son restaurant Papillon. © Pierre Monetta.

PAPILLON Le Restaurant.

Moderne, élégant, beaux matériaux. On s’y sent bien. La grande hauteur sous plafond crée un sentiment d’espace extrêmement agréable. Grande façade bleu très foncé. Joli logo. Et le design du site est en parfaite harmonie avec celui du restaurant.

La salle du Restaurant Papillon.Mobilier, vaisselle .

La salle du Restaurant Papillon. © Pierre Monetta.

Si vous avez envie de consulter la carte, c’est ici.

Il est conseillé de réserver, vous pouvez le faire  sur le site, c’est simple et efficace.

Restaurant Papillon

Ouvert du lundi au vendredi, midi et soir.

8 Rue Meissonier
75017 Paris

Téléphone : 01 56 79 81 88

www.papillonparis.fr