ESENS’ ALL, une expérience culinaire unique.

ESENS’ ALL, une expérience culinaire unique.

avril 12, 2025 0 Par Anne A

Le chef-propriétaire Laurent Pichaureaux nous raconte la genèse de son restaurant gastronomique et Bio : Esens’All.

Portrait du chef du restaurant Esens'all
Laurent Pichaureaux © Esens’All

LA BATIGNOLLAISE – Comment êtes-vous devenu cuisinier ?

Laurent PICHAUREAUX : Ma maman était vraiment gourmande même gourmet et elle cuisinait beaucoup. Je l’aidais de temps en temps parce que j’aimais bien et que parfois je préférais cuisiner avec elle plutôt que de sortir.

Mais en parallèle j’adorais le sport et je faisais beaucoup de football et de l’athlétisme. Je voulais même rentrer en sport étude à Niort car je suis originaire des Deux-Sèvres. J’avais passé les tests, côté pratique tout s’était bien passé mais cela n’a pas suffi à compenser mes résultats aux épreuves écrites.

Alors comme je ne souhaitais pas continuer l’école, ma mère (qui était institutrice) me dit qu’à côté du sport il fallait trouver une autre voie.

Et elle me dit mais puisque tu cuisines un peu avec moi mais plus particulièrement les desserts pourquoi tu ne chercherais pas quelque chose en pâtisserie ?

Je lui dis d’accord si cela me permet quand même de continuer le football à côté.

Ma mère s’est mise en quête de trouver une pâtisserie, mais compte tenu de mes contraintes cela ne s’est pas fait. En revanche elle a trouvé un restaurant, et j’ai accepté dès lors que cela me permettait de continuer à pratiquer le sport à côté.

Je me suis lancé dans un CAP, un cursus scolaire qui me convenait mieux, car il y avait à la fois du pratique et du théorique. On rentrait déjà un peu dans la vie active, je faisais plaisir à ma maman et je pouvais continuer le sport, ce dont j’avais vraiment besoin.

2 ans s’écoulent et j’obtiens mon CAP. Et là ma mère me dit : « Tu ne vas pas t’arrête en si bon chemin… »

Et moi qui pensait en avoir terminé avec l’école…  Ma mère voulait me faire passer un bac professionnel, donc continuer encore les études pour acquérir des connaissances supplémentaires et très utiles :  on faisait des maths, de la gestion, on apprenait aussi le droit des entreprises…

Sur le plan pratique c’était intéressant parce que l’on peaufinait ce que l’on avait appris en CAP, à un niveau supérieur. On avait une personne avec nous, appelée commis, que l’on devait manager. C’était hyper complet comme formation.

En revanche je ne voulais pas rester dans la même région, j’avais envie de bouger. Je suis donc allé en Charentes et il m’a fallu trouver un maître d’apprentissage. Ma mère m’a encore beaucoup aidé là-dessus aussi.

On a trouvé à Montbron, à 160 km de chez elle.

J’ai donc changé de lycée professionnel et d’environnement. Je m’émancipais un peu.

Puisque nous avions déjà le CAP, il y avait des attentes plus fortes de la part de nos formateurs et on nous attribuait des taches beaucoup plus spécifiques. C’était plus prenant et j’avais moins de temps libre. Je ne pouvais plus faire de foot mais juste continuer l’athlétisme.

Nous étions 2 jeunes qui passions le même diplôme, du coup c’était stimulant on se challengeait un peu. Cependant nous étions un peu trop souvent livrés à nous-mêmes, il nous arrivait de faire le service à nous deux… Je trouvais que je n’apprenais pas suffisamment, j’avais envie que l’on me montre des choses, et du coup je commençais à me lasser à tel point que mes parents sont intervenus. Les choses se sont finalement arrangées.

Au bout de 2 ans je passe mon bac professionnel.

Je ne voulais plus continuer les études, alors il me fallait trouver un patron et un emploi.

Vous aviez quel âge ?

J’avais 18 ans, je venais de passer mon permis de conduire ce qui évitait à ma mère de continuer ses nombreux trajets !

Je m’étais lié d’amitié avec un copain du lycée professionnel qui avait trouvé un poste de commis.

Il se trouve que son patron cherchait un second commis. 

Nous sommes donc rentrés ensemble au relais Sainte-Catherine à Montbron, à l’époque c’était un relais du silence. C’était un hôtel restaurant à Montbron, très joli lieu avec un grand parc une belle salle de réception très grande cuisine on était 5 ou 6.

Mais il n’y avait plus de chef, il était parti.

C’était l’un des sous-chefs qui tenait la cuisine en attendant que soit recruté un chef. C’est un grand chef de Lyon qui a repris la main. Et avec lui cela a tout de suite bien fonctionné, il m’a appris énormément.

Il venait de Lyon et avait l’habitude d’aller au marché tous les jours. 

Du coup il m’emmenait tous les 2 jours au marché à Angoulême. On se levait très tôt, à 5h, mais j’étais très motivé.

Il m’a fait découvrir comment acheter, choisir les produits, discuter, marchander un peu aussi. C’était sympa, on prenait notre petit café, l’hiver c’était un peu rude, mais l’été c’était très agréable parce que le jour se lève plus tôt. 

Quand on revenait on attaquait la mise en place, la matinée était un peu longue…

Ce chef était aussi très doué pour la pâtisserie, il m’a appris à faire des gâteaux. Il y avait des mariages et des baptêmes, donc on faisait de belles pièces. Les cuisiniers ne s’intéressent pas souvent à la pâtisserie, mais moi ça me plaisait et je pensais que cela me servirait un jour. J’ai bien fait car j’ai appris énormément, mais également en cuisine. Les rôles étaient bien répartis, il était vraiment là. On passait aux entrées, aux légumes, aux sauces, aux poissons, aux viandes, plus les desserts.

J’ai vraiment eu le déclic avec ce chef. Les 2 ans d’avant je les avais faits parce qu’il fallait avancer, faire toujours un peu plaisir à ma maman, et que si un jour je voulais ouvrir un restaurant j’aurais de bonnes bases… 

Mais là je me suis dit, ah oui, c’est ça la cuisine …

Il m’apprenait vraiment à faire des choses, c’était élégant, c’était artistique.

J’ai appris à tourner les champignons, à faire des choses avec des légumes que je n’avais jamais faites auparavant, des fonds de sauce, des décors à pâtisserie avec le cornet, des écritures, des roses en pâte d’amande … c’était très formateur.

Mais finalement au bout de 2 ans ce chef est retourné à Lyon, il ne se plaisait pas trop à la campagne.

Il y a eu du flottement, ils recherchaient un chef, ça traînait donc c’est le sous-chef qui a repris et là moi j’ai fini par m’ennuyer parce que je trouvais que l’on n’apprenait plus rien.

Qui est ce chef qui a été si important pour vous ?

C’est Jean-Jacques Mazière, il avait travaillé l’hôtel « Sofitel, restaurant les 3 dômes » à Lyon, puis chez d’autres étoilés Lyonnais.

Finalement je l’appelle et je lui dis « chef moi aussi je veux aller à Lyon ».

Il me dit : « viens mais pour l’instant là où je suis, je n’ai rien pour toi ».

Je lui réponds : « ce n’est pas grave, je prendrai un poste en attendant et au moins je serai proche de vous ».

Je suis arrivé à Lyon, c’était quelque chose pour moi qui n’avait fait que la campagne des Deux-Sèvres et Charentaise. Lyon et la gastronomie…

Je trouve donc un premier emploi dans une institution lyonnaise, la Brasserie Georges, sur la gare de Perrache. C’est magnifique et porte bien son nom, parce que çà brasse en cuisine, on était 15 ou 16, cela n’arrêtait pas du midi au soir.

J’ai appris l’organisation parce qu’il faut quand même être hyper méthodique quand on fait de grosses quantités, et j’ai aussi appris la rapidité d’exécution quand on fait des mises en place aussi importantes. Et là aussi j’ai travaillé sur différentes parties.

Et à un moment donné il y a une personne en pâtisserie qui se blesse et tombe en arrêt maladie. Le chef pâtissier demande qui veut venir avec moi en pâtisserie ?

Je suis le seul à lever la main, une fois de plus, je dis ça va me changer j’y vais. Je me suis super bien entendu avec le chef pâtissier qui est devenu un copain par la suite. 

Il m’aimait bien parce qu’il voyait que j’étais intéressé et méticuleux aussi. Il voulait quelqu’un comme ça parce que la cuisine et la pâtisserie ce sont des domaines complètement différents.

Je sais pourquoi les cuisiniers n’aiment pas la pâtisserie, parce qu’il faut sortir la balance, il faut tout peser, il faut que ce soit rigoureux donc je me suis bien entendu avec lui. Après 3 mois en cuisine puis 6 mois en pâtisserie et un retour en cuisine, j’avais le sentiment d’avoir fait le tour.

D’autre part, mon chef avait encore changé d’établissement et cette fois-ci il me dit, c’est bon je vais pouvoir te faire rentrer. Alors on a reconstitué l’équipe et on a retravaillé ensemble à peu près 2 ans.

Amuse bouche chez Esens'All
Amuse bouche © photo Esens’All

La direction était en train de vendre, lui allait repartir dans le Sud, et moi j’avais une opportunité pour aller à Londres.

En effet, le chef pâtissier que j’avais rencontré était parti à Londres entre-temps. Il m’a dit Laurent écoute, viens il y a des choses à faire peut-être que cela peut être une opportunité tout ça donc il m’a accueilli dans un premier temps. Il fallait que je trouve une place, ce n’était pas évident et en plus pas au même statut car ne parlant pas la langue, vous régressez un peu en termes de statut.

Au bout de quelques semaines je me dis je ne me plais pas ici ce n’est quand même pas terrible Londres… et du coup je change de restaurant en pensant que cela venait peut-être de çà.

Et en effet cela devait être en partie vrai, car dans ce 2e restaurant j’ai eu un déclic.

Je me sentais beaucoup mieux, et je suis resté 4 ans dans ce restaurant. Cela s’est super bien passé. Et ensuite j’ai fait un autre restaurant. Donc j’ai passé pratiquement 9 ans à Londres.

Donc, à Londres, vous avez travaillé dans 2 endroits différents relativement longtemps ?

Le premier était un restaurant de cuisine vraiment française, on était 5. Je suis rentré en tant que sous-chef et j’ai fini chef là-bas donc cela m’a permis ensuite de postuler ailleurs d’autant que je parlais anglais désormais.

Je voulais voir un petit peu plus grand, donc là j’en avais la possibilité. Les chefs français à cette époque-là étaient vraiment très recherchés, c’était le bon moment.

Dans le second restaurant « Dover Street » j’avais une brigade : 22 cuisiniers et 5 plongeurs à gérer. 

C’était bien mais d’un autre côté je passais beaucoup moins de temps en cuisine et beaucoup plus de temps à gérer. 

Chaque jour j’avais un cas à gérer il y avait un problème il y avait du social en fait à faire. 

J’avais 3 sous-chefs donc eux étaient en permanence en cuisine moi je voulais y aller par moment parce que j’aimais bien.

Alors quelques fois je faisais ce qu’on appelle le passe, donc l’annonce des commandes l’envoi, les vérifications.

Et puis quelques fois j’avais envie d’aller de mettre les mains dans le cambouis, j’allais à ce qu’on appelait une partie (une section) avec un des responsables de chaque section parce qu’on a des chefs de partie dans chaque section. 

Ça les faisait rire de me voir avec eux et derrière en tant que chef mais j’aimais bien. Ça permettait aussi de voir comment ils étaient en place s’il y avait des choses à améliorer. 

On faisait 100 et quelques couverts par service. C’était une grosse organisation. 


Petits-pois-frais-haddock-fume-emulsion-a-la-verveine
Petits pois frais haddock fume, emulsion à la verveine © photo Esens’All

Chez Dover Street c’était de la cuisine française et méditerranéenne, un peu plus axée méditerranéen. J’avais carte blanche, il y avait 2 menus. Cette expérience a été intéressante mais on était un peu trop dans du débit comme à la Brasserie Georges et en plus beaucoup de management. Certes avec des responsabilités nettement supérieures.

Alors j’ai pensé intégrer un groupe à Londres, avec différents restaurants à gérer. Je voulais rentrer dans un groupe pour être à la tête de plusieurs restaurants, faire les recettes, mettre en place les cartes et les menus. Je cherchais un poste de chef exécutif.

Et je n’ai pas trouvé ce que je voulais. Moi j’ai besoin de toucher la matière, donc faire des recettes, aller dans le laboratoire pour les créer et les mettre au point… Et là je me suis dit que j’allais peut-être ouvrir mon restaurant… après avoir tellement travaillé à grande échelle, je voulais quelque chose à taille humaine. 

Finalement, ce ne sera pas Londres ?

J’aurais pu ouvrir à Londres, j’avais du réseau, et on m’aurait suivi pour le faire.

Mais symboliquement, je voulais que ce soit en France, tout en me disant qu’un jour j’ouvrirai quelque chose à Londres. Puis finalement entre le Brexit, la Covid… j’ai décidé de rentrer en France et d’aller à Lyon. J’avais beaucoup d’affect pour Lyon car c’est une ville qui a été importante pour moi. Londres aussi. Je n’ai pas le même attachement à Paris, alors que j’y suis depuis 13 ans déjà…

Quand je suis rentré à Lyon, ville que j’adorais, j’ai trouvé que c’était bien calme comparativement à Londres. Alors j’ai commencé à explorer Bordeaux puis Paris, qui n’est qu’à 2h de Lyon par le train. 

En 2010 je suis tombé amoureux du quartier des Batignolles. Quand j’ai visité le restaurant il m’a plu, il avait une grande cuisine, cette rue discrète et calme en parallèle des autres grandes artères bruyantes m’ a tout de suite séduit, l’accesssibilté aussi me plaisait .

J’ai démarré avec un ami qui m’a donné un coup de main pendant 6 mois.

Ensuite j’ai eu différentes personnes en salle, qui se sont succédé.

Mais depuis la Covid je n’ai retrouvé personne. Alors j’ai géré tout seul la cuisine et la salle.

Donc maintenant je fais tout seul mais je bloque les réservations en fonction du nombre de personnes et de tables que je peux faire seul. Je m’organise en cuisine, tout est portionné, calibré et au bon moment je fais mes montages. Cela prend tout de même du temps parce qu’il y a plein de choses, le montage les cuissons et je finalise les sauces.

Je sais que ça plaît et je le vois dans les échanges avec les clients, je le vois dans les commentaires qu’ils laissent après, donc je vais faire comme ça.

Et je vais plutôt chercher quelqu’un pour m’aider en cuisine et continuer moi la salle.

Maintenant je vais prendre ce virage-là parce que je le vois bien dans l’échange que j’ai avec la clientèle, y compris étrangère grâce à l’anglais que je maîtrise l’anglais parfaitement. Je peux tout expliquer avec précision.

Les gens me disent qu’ils ont l’impression que je les reçois chez moi.

Alors c’est vrai, je prends le temps d’expliquer tout en écoutant ce qui se passe dans la cuisine. Au bruit je sais où en est la cuisson. Les portions sont établies à l’avance, je ne peux pas prendre de tables de passage. C’est une organisation forcément très précise.

Quel est le nombre de couverts maximum que vous pouvez gérer sur un service ?

8 à 10 personnes. En fait le nombre de table et le nombre de couverts par table a son importance. Il est plus facile de gérer 4 tables de 2, plutôt qu’une table de 8. Pour une privatisation on va jusqu’à 16 maximum parce que là je prends des extras.

Il faut tout dresser d’un coup il faut être quand même un peu plus rapide. C’est un envoi ça fait penser un peu à ces grandes structures que j’ai eues à gérer à un moment donné, ce n’est pas mon truc. 

En fait ce qui me plairait vraiment c’est de pouvoir toujours avoir des tables de 2 ou 3 ou 4 parce que le cadre s’y prête et l’attention portée à l’assiette aussi, ça me convient mieux. 

Vous n’êtes pas autant attaché à Paris qu’à Londres ou à Lyon, vous envisagez de bouger ?

Non, maintenant mon envie serait plutôt la campagne un peu de verdure, j’aimerais avoir un potager. La première étape serait de trouver déjà un bout de terrain pas trop loin d’ici où je puisse faire mes fleurs dans une petite serre. 

Mais le fait d’être passé en salle m’a donné un nouvel élan. Je vois tout ce que les clients me donnent, la satisfaction qu’ils manifestent. Je suis hyper content d’échanger avec eux et de faire les services.

C’est énorme ce qu’il faut donner ici en en plus de la cuisine mais depuis un certain temps ça me plaît beaucoup ça me convient bien ainsi.

Comment est né Esens’All ?

Cela s’est vraiment fait étape par étape. Une première de 2010 jusqu’en 2014 avec l’arrivée du mur végétal. Je fais rentrer un peu plus de nature parce que c’est ce que je voulais dès le départ. Je refais un peu la salle également. Il fallait que l’environnement soit plus cohérent avec ma cuisine. J’avais eu plusieurs fois des remarques de clients sur ce décalage entre le décor et ma cuisine.

Quand je suis arrivé à Paris, je voulais vraiment quelque chose proche de la nature et du bio il y a 13 ans du bio à Paris c’était extrêmement compliqué je crois que j’étais précurseur mais peut-être trop ? 

Donc le réseau s’est créé petit à petit même pour les vins parce que la carte est exclusivement bio à une ou 2 références près mais c’est du Bordeaux.  Je ne suis pas fan mais il en faut quand même un peu pour la clientèle.

La 2e étape, c’était pendant la COVID où j’ai carrément changé de mobilier j’ai fait rentrer des bouleaux et aussi le petit arbre, j’ai changé des tableaux.

Côté cuisine aussi, c’était l’occasion de faire évoluer les choses. Libéré de contraintes comptables et administratives, j’ai voulu mettre à profit ce temps dont je disposais. 

J’ai énormément travaillé pendant la COVID à faire des recettes à essayer des choses des combinaisons de m’imprégner de plein de petites choses. J’ai aussi revu mon organisation. Je me suis dit, comme ça pour la reprise je pourrai partir sur quelque chose de nouveau. 

En effet à un moment donné vous êtes tellement pris dans une routine, la tête dans le guidon, vous ne savez plus trop si vous faites encore bien, vous vous demandez s’il n’y a pas des choses à améliorer mais vous vous installez dans une certaine zone de confort parce que les retours sont positifs.

Mais en fait il faut tout le temps s’améliorer parce que si vous voulez toujours étonner les clients et leur faire découvrir des choses nouvelles il faut continuer de chercher et de s’améliorer. Cette période-là a été propice au renouvellement.

Ganache chocolat infusée à la violette, crumble sésame noir caramel à l’Angostura et fraises lyophilisées ©photo Esens’All

Quelles sont vos sources d’inspiration, comment viennent vos idées ?

Les voyages qui me permettent de revenir avec beaucoup d’idées.

Le Japon en priorité car je pratique les arts martiaux. J’ai toujours eu besoin de pratiquer du sport. Et les arts martiaux se sont avérés plus faciles à pratiquer par rapport à mes contraintes professionnelles. Je continue aussi à courir et souvent l’esprit libre et détendu, j’élabore des  à des recettes durant mon footing

Pendant la Covid, j’ai peaufiné toute cette influence asiatique mais particulièrement celle du Japon. J’aime beaucoup leur manière d’aborder les choses sur le plan culturel et spirituel. Avec pas grand-chose ils arrivent à faire quelque chose qui est hyper pointu, ils vont à l’essentiel. La technique  n’est jamais mise en avant alors qu’il y a une grande technicité chez le japonais. Ils utilisent des produits qui sont des goûts purs, je trouve ça remarquable. Je m’étais fait faire des couteaux au Japon, c’est toute une science tout un rituel… 

Une autre spécificité de votre cuisine, ce sont les fleurs ?

Oui j’ai toujours été fasciné par les fleurs toutes ces notes qu’on peut en tirer, ces arômes que très peu travaillent d’ailleurs.

Les fleurs c’est souvent en décoration. Moi aussi, dans un premier temps, j’ai trouvé ça beau j’ai utilisé les fleurs en déco, oui comme tout le monde.

Et puis je me suis dit, c’est joli la déco mais il va falloir passer à autre chose parce c’est à une époque où tout le monde finissait par en mettre un peu partout. Un peu comme à une époque avec le vinaigre balsamique. 

Donc j’ai décidé de faire autre chose avec les fleurs et les herbes. C’est venu naturellement, du fait de mon affinité avec le bio. Maintenant en Ile de France on est bien fourni en bio.

Filet de turbot chez Esens'all
Filet de turbot © photo Esens’all

Comment vous approvisionnez-vous ? 

Au départ je me déplaçais, et puis maintenant avec certains restaurateurs on a fait des petits regroupements. Et on récupère nos achats chez les uns et les autres, à tour de rôle.

On réduit les coûts, on gagne du temps. Pour les herbes et les fleurs, on a un fournisseur qui livre en un seul point. Ensuite chaque restaurateur récupère ses achats au point de livraison.

Au départ je me fournissais au marché bio le samedi matin, mais c’est trop cher pour un restaurateur. Je me fournis parfois chez Terroirs d’Avenir, de beaux produits mais un peu chers pour nous.

Je trouve qu’il y a une belle évolution en Île-de-France, il y a plein de choses qui se font toutes en biodynamie : petites herbes, fleurs et herbes aromatiques. C’est hyper intéressant. 

Cela dit tout le monde veut en faire maintenant parce que c’est rentable, c’est pour ça que lorsque je commence à voir le prix de ces petites herbes je me dis que ce serait bien si j’avais mon bout de jardin à 01h00 de Paris…

Peut-être que je finirai par avoir mon restaurant à la campagne proche de mon potager ?

Mais là pour l’instant je suis encore là vu que je suis en train de retravailler sur d’autres projets.  

Mais quels projets ?

J’ai commencé à faire quelques extractions moi-même maintenant de fleurs pour pousser encore un peu plus le concept de démarrer des accords mets et décoctions pour ceux qui n’aiment pas le vin ou qui ne supportent pas le vin ou les femmes enceintes.

Je suis en train de me faire un petit laboratoire en bas, je ne vais pas faire de distillation à proprement parler mais des extractions.

Je veux rester actif, continuer à créer. Ma compagne me pousse beaucoup dans ce sens.

Elle m’alerte sur le risque de lassitude, me pousse à quitter ma zone de confort. Un avis extérieur est toujours constructif.

La foccacia que vous mangez je la fais moi-même, depuis la COVID. Avant je prenais mes pains mais elle plaît tellement cette foccacia… donc je la cuits juste avant le service et c’est un bonheur. Et ça va, je peux la gérer : une première pousse ce matin une 2e en milieu d’après-midi. Une fois suffisamment montée je la mets au four à 19h00 19h30.


Filet-de-canete-au-barbecue-brocoli-et-fruits-de-la-passion
Filet de canette au barbecue, brocolis et fruits de la passion © photo Esens’all

Que direz-vous à propos de votre cuisine ?

Je voulais faire des petits plats, et un menu unique en 5 ou 7 services. Je trouve que cela permet de bien montrer ce que je sais faire, les clients apprécient cette formule qui offre une palette plus large que le traditionnel menu entrée/plat/dessert.

Ma cuisine est structurée en fonction des saisons, des produits que j’ai envie de travailler parce qu’ils sont délicats et que j’ai une affinité avec eux. Il y a des saveurs prononcées, mais je me limité à 3 généralement, car il ne faut pas en mettre trop… il faut juste trouver les bonnes combinaisons.

J’attache une grande importance à l’esthétique. Mon chef Mazière, me disait toujours : « Laurent n’oublie pas que l’on mange d’abord avec les yeux. Mais attention parce que si le décor est prometteur mais qu’ensuite cela ne suit pas, alors tout va retomber comme un soufflé. »

J’attache de l’importance au contenant. 

Je peux vraiment m’amuser car j’ai énormément d’assiettes même si le blanc prédomine j’ai aussi de la couleur. Les clients me font souvent des remarques sur ma vaisselle.

Je ne veux pas être limité, lorsque je crée une recette je sais que j’aurai le contenant qui le mettra en valeur.

Le contenant est inclus dans la prise de décision de ma recette.

Je travaille à l’instinct et au goût. Je n’écris pas grand-chose. Pour la pâtisserie je suis un peu plus précis par nécessité. 

Et, il arrive parfois que je modifie un petit quelque chose juste avant le service.

A quel rythme évolue votre menu ?

Le grand menu ne sera pas changé d’une semaine sur l’autre, juste une ou deux recettes.

Sur 8 semaines le menu a bougé. Venir une fois par saison c’est un bon rythme par rapport à ce que je fais. Il faut qu’ici cela reste un endroit un peu exclusif, on y passe un certain temps. Je présente, j’annonce, j’explique. Il faut compter entre 2h30 et 3h pour le petit menu… je l’ai indiqué sur le site. 

Rhubarbe confite, mousse au géranium et grenade © photo Esens’All

Vous l’aurez compris, dîner chez Esens’All, est une expérience vraiment particulière et intimiste. Il y a peu de couverts, et le chef Laurent Pichaureaux vous accueille personnellement.  Il assure également le service, l’occasion pour lui de vous parler de ce qu’il a préparé pour vous. Laurent Pichaureaux vous propose une cuisine, originale, raffinée, que l’on déguste. Les découvertes sont véritablement au rendez-vous. C’est un moment totalement dédié à un repas que l’on savoure, et auquel on va consacrer du temps. C’est la passion d’un chef que vous allez partager.

ESSENS’ALL 12 rue Dulong 75017 tél : 01 42 27 66 71

Réservation indispensable compte tenu du petit nombre de couverts, vous pouvez réserver en ligne.